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Avis de recherche : la Sierra Leone veut trouver des investisseurs miniers de bonne réputation

Enseignements tirés sur la manière dont des agences gouvernementales aux ressources limitées peuvent améliorer la vérification de l’intégrité dans la gestion des licences minières.

Un an après la publication des « Panama Papers », l’Agence nationale des minéraux (NMA) de Sierra Leone veut savoir avec qui elle fait affaire. La NMA est l’agence gouvernementale responsable de la délivrance des licences minières. Beny Steinmetz, connu pour l’affaire Simandou, est l’un des investisseurs miniers qui ont amené la NMA à renforcer la vérification de l’intégrité. Les « Panama Papers » ont montré que Steinmetz détenait, par une chaîne de propriété complexe, la plus grande mine de diamants de Sierra Leone, Koidu Holdings.

La vérification de l’intégrité signifie que l’agence qui octroie les licences examine la réputation et les antécédents des sociétés qui déposent une demande. De cette manière, la NMA espère éliminer les investisseurs véreux et attirer à la place des entreprises réputées pour transformer les richesses minérales de la Sierra Leone. Cette ambition entre en résonance avec l’appel de l’ITIE à la divulgation des propriétaires finaux des entreprises extractives et avec le lancement d’un registre mondial des propriétaires réels par OpenOwnership.

Un pays disposant de ressources limitées comme la Sierra Leone peut-il tester de manière fiable l’« intégrité » des investisseurs miniers ?

La réponse est oui.

D’octobre 2016 à mars 2017, OpenOil a été chargé par la GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH), la Coopération internationale allemande, de collaborer avec la NMA pour renforcer la vérification de l’intégrité dans la gestion des licences minières.

Nous avons constaté que la hiérarchisation des ressources, l’utilisation intelligente des produits commerciaux et la capacité à juger les risques permettent à la NMA de se faire une idée assez exhaustive de l’intégrité (ou du manque d’intégrité) des investisseurs potentiels. On ne doit pas s’attendre à ce que la NMA parvienne toujours à découvrir le propriétaire final d’une entreprise ou à suivre le parcours de chaque dollar. L’objectif est de prendre des décisions éclairées pour déterminer à qui donner accès aux ressources naturelles de la Sierra Leone.

Voici quatre enseignements que nous avons tirés de ce projet et que d’autres pays pourraient trouver utiles.

1. Hiérarchiser les détenteurs de licences minières pour une vérification continue de l’intégrité.

Les gouvernements des pays en développement n’ont pas toujours assez de personnel pour procéder à un contrôle de l’intégrité de tous les détenteurs de licences minières. La NMA emploie quatre agents de conformité pour contrôler 175 licences minières industrielles et 2 078 licences commerciales. Fort heureusement, tous les détenteurs de licences ne représentent pas le même niveau de risque pour le secteur ou pour l’économie générale. En collaboration avec la NMA, nous avons mis au point une méthode de « triage » permettant de repérer les détenteurs de licences à haut risque pour les soumettre à des contrôles réguliers de l’intégrité. En effet, il importe de vérifier régulièrement l’intégrité, car le profil d’entreprise d’un détenteur de licence peut changer au fil du temps (avec la vente d’un actif, par exemple).

Voici comment nous avons procédé :

  1. Tout d’abord, nous avons identifié un ensemble d’indicateurs de risque à l’aune desquels évaluer tous les détenteurs de licences, en nous appuyant sur les données que la NMA recueille déjà par le biais de son système de cadastre minier, que la population peut consulter grâce au référentiel en ligne. L’un de ces indicateurs de risque était la contribution de l’entreprise au montant total des revenus miniers non fiscaux.
  2. Nous avons ensuite pondéré chaque indicateur en fonction du niveau de risque et de fiabilité. Par exemple, nous avons donné moins de poids aux différences dans le prix de vente qu’au type de licence ou à la présence dans un pays à faible fiscalité parce qu’un grand nombre de raisons légitimes peuvent expliquer pourquoi le prix de vente d’une entreprise est inférieur au prix du marché (par ex., des différences de qualité), si bien que cet indicateur est moins étroitement lié au risque.

Enfin, nous avons proposé un algorithme et un système de notation pour chaque indicateur. La NMA est en train d’intégrer ces règles dans son système d’analytique de données. Il en résultera une liste automatisée de 10 à 12 entreprises « à surveiller » que le personnel de conformité de la NMA doit suivre en continu.

Ce travail a abouti à la création d’un système automatisé qui produit une évaluation raisonnable de la nécessité éventuelle de soumettre un détenteur de licence minière à un contrôle continu de l’intégrité. Si les résultats ne semblent pas corrects, le personnel de la NMA peut ajouter ou retirer des entreprises de la « liste à surveiller ».

Figure 1 : matrice des risques pour la vérification de l’intégrité

2. Les bases de données commerciales doivent être évaluées en fonction de leur application spécifique à l’industrie minière dans le pays source.

Ce que les données ouvertes peuvent permettre de déduire sur un investisseur (par ex., un investisseur est-il détenu à 100 % par une entreprise implantée dans un pays financièrement opaque ?) est parfois limité. La réponse à cette difficulté est généralement que les pays doivent investir dans une base de données commerciale comme celles de Reuters ou du Bureau Van Djik. Pourtant, pour un grand nombre de pays en développement comme la Sierra Leone, le coût d’une base de données (qui se situe entre 5 000 et 25 000 livres sterling par an) est difficile à justifier. Afin de décider s’il convient ou non d’investir dans un abonnement, les agences gouvernementales devraient tester l’application de la base de données au secteur minier dans leur pays. Pour ce faire, elles doivent prendre en compte les questions suivantes :

  • Quel est le nombre des entreprises minières à surveiller ? Il se peut que le gouvernement n’utilise qu’une petite partie des informations contenues dans la base de données alors qu’il paye pour la totalité de cette ressource.
  • Combien d’informations la base de données contient-elle sur les entreprises privées qui ne sont pas accessibles au public dans le registre local ? La principale raison de s’abonner à une base de données est de faciliter les vérifications préalables sur les entreprises privées. Toutefois, si la base de données est si peu fournie que le gouvernement doit ensuite acheter des données supplémentaires ailleurs (par ex., auprès d’un cabinet de conseil), ce n’est peut-être pas un bon investissement.
  • Dans quelle mesure la base de données se sert-elle d’informations publiques pour identifier les personnes politiquement exposées ? Il se peut que ces informations proviennent des médias, de sites Internet d’actualité ou d’entreprises et de listes de sanctions, c’est-à-dire de sources qui sont toutes accessibles au public.
  • L’agence de réglementation du secteur minier peut-elle établir la structure de propriété des investisseurs miniers, c’est-à-dire identifier toutes les entités juridiques, les administrateurs, les responsables, les actionnaires, etc. ? Pour consulter certaines bases de données, les utilisateurs doivent déjà connaître les entités juridiques et les individus impliqués. Les pays en développement doivent éviter les bases de données dont l’utilisation nécessite une bonne connaissance préalable des structures d’entreprise.

Une base de données commerciale serait une option envisageable si le Secrétariat de l’ITIE et les partenaires donateurs achetaient un abonnement collectif afin de fournir une licence aux pays mettant en œuvre l’ITIE. Cela serait plus rentable et aiderait les pays à appliquer l’Exigence ITIE en matière de propriété réelle.

3. Les pays où le nombre d’investisseurs miniers est limité trouveront peut-être que l’achat occasionnel de rapports de vérification est plus rentable que l’abonnement à une base de données.

Si une agence gouvernementale estime avoir besoin de données fermées pour effectuer les vérifications requises, une solution plus ciblée et plus rentable consiste à acheter des rapports de vérification portant sur certaines entreprises qui demandent une licence minière. Cependant, cette approche entraîne des coûts et ne doit donc être suivie que pour les entreprises privées à haut risque (par ex., les investisseurs liés à des entreprises d’État) une fois que l’équipe de conformité a épuisé toutes les pistes de recherche possibles pour l’entreprise en question. L’avantage de cette approche est qu’elle « fait d’une pierre deux coups » puisque l’agence obtient un rapport ainsi qu’une traduction des documents d’enregistrement de l’entreprise et des articles des médias si les originaux sont écrits en langue étrangère.

En fonction du niveau de déclaration, un rapport standard coûte entre 100 et 800 livres sterling. Les rapports les plus sophistiqués peuvent aller jusqu’à 30 000 dollars US. Le coût du rapport dépend du volume de commentaires sur les sources ou des investigations « sur le terrain » qui ont été menées. Dans la plupart des cas, un rapport de vérification standard (enregistrement de l’entreprise, couverture médiatique négative, sanctions et leur exécution, informations de base sur les administrateurs et les actionnaires) doit suffire pour effectuer les contrôles de l’intégrité, sauf en cas de préoccupations très graves ou de difficultés d’accès aux registres de l’entreprise.

Pour un pays comme la Sierra Leone, où il y a un petit nombre d’exploitations minières importantes, l’achat de rapports ponctuels est plus rentable que l’abonnement à une base de données. Cela n’est peut-être pas le cas pour d’autres pays où le secteur minier est plus développé. Pour autant, ces pays peuvent eux aussi considérer que l’achat de rapports ponctuels est intéressant du point de vue stratégique étant donné que le contenu des bases de données sur les entreprises privées est variable.

4. Les pays qui visent la divulgation des propriétaires finaux ont besoin d’un cadre juridique pour la propriété réelle. En attendant, les agences gouvernementales peuvent utiliser d’autres points de données pour éclairer la vérification de l’intégrité.

Même si la NMA ambitionne de connaître l’identité de tous les propriétaires finaux des entreprises, à l’heure actuelle, la loi exige uniquement la divulgation des actionnaires qui possèdent au moins 5 % du capital social. Un examen juridique est en cours afin de prendre en compte d’autres formes de propriété, ce qui aboutira probablement à une législation exhaustive sur la propriété réelle.

Cependant, il n’est pas nécessaire d’attendre qu’une réforme juridique ait lieu pour procéder à la vérification de l’intégrité. On peut faire beaucoup de déductions à partir des informations déjà recueillies par les agences gouvernementales. Ainsi, la NMA peut déjà détecter certains problèmes de personnes politiquement exposées à partir des données sur les actionnaires et les parties liées qu’elle collecte auprès des sociétés qui demandent une licence. En tenant compte du cadre juridique actuel, les agences gouvernementales doivent mettre à jour les exigences existantes en matière de divulgation afin d’optimiser les informations pertinentes pour les vérifications auxquelles elles ont déjà droit.

Signe de la réussite du système de vérification

Il est essentiel d’effectuer toutes les vérifications nécessaires sur les investisseurs afin de lutter contre la corruption, les pratiques fiscales abusives et les activités criminelles dans le secteur minier. Les solutions de vérification doivent être simples et économiques, compte tenu des ressources et des capacités de l’agence gouvernementale responsable de leur utilisation. La marque du succès n’est pas qu’une agence gouvernementale connaisse chaque personne morale et chaque personne physique impliquées dans un investissement, mais plutôt qu’elle puisse se faire une opinion éclairée et raisonnée du niveau de risque lié à un investisseur de sorte à pouvoir prendre la décision de lui octroyer (ou non) une licence, et que les domaines d’inquiétude soient signalés pour faire l’objet d’un suivi continu.

 

Alexandra Readhead était la chef d’équipe d’OpenOil pour le projet de vérifications préalables de la NMA. Consultante indépendante, elle est spécialisée dans les domaines de la fiscalité internationale et des industries extractives.

Photo : Un monticule de gravier surplombe la mine de Koidu dans l’est de la Sierra Leone.  Photo : Cooper Inveen/GroundTruth (page source)