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République démocratique du Congo : rapportage novateur sur les entreprises extractives d’État

Un nouveau rapport souligne la nécessité de réformes de la gouvernance dans les entreprises extractives d’État.  

Une étude récente menée par l’ITIE RDC a examiné les états financiers de neuf entreprises d’État opérant dans le secteur extractif de la RDC, dans l’optique de comprendre si la gouvernance de ces entreprises est conforme à la réglementation nationale. Le rapport indépendant, qui fournit une analyse des comptes 2017 et 2018, formule des recommandations visant à améliorer le potentiel de production et la rentabilité des entreprises d’État comme base pour renforcer leur compétitivité et leurs contributions à l’économie nationale.

Un certain nombre de développements récents offrent la possibilité de progresser en matière de gouvernance des entreprises d’État : la nomination d’un gouvernement à la tête duquel se trouve le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, qui a dirigé précédemment l’entreprise minière d’État Gécamines ; un plan de financement de 1,5 milliard de dollars US sur 3 ans par le Fonds monétaire international ; et un regard international croissant sur la provenance des minéraux stratégiques.

Mise en évidence de faiblesses

L’étude a recensé plusieurs écarts entre les politiques et les pratiques en matière de transferts financiers des entreprises d’État vers l’État. Les rapports précédents de l’ITIE ont fait ressortir que les entreprises d’État sont tenues de transférer 50 % des paiements de pas-de-porte (similaires aux primes de signature) et de royalties au Trésor. Or, l’étude a révélé qu’il pouvait y avoir des exceptions à ces paiements, par exemple lorsque les entreprises d’État documentent elles-mêmes la valeur des réserves couvertes par des licences. En outre, certaines entreprises d’État vendent leurs actifs ou leurs participations dans des entreprises sans mener les processus d’appels d’offre ouverts requis. L’étude a recommandé la prise de mesures visant à améliorer la mise en œuvre de la réglementation applicable. Elle a également formulé des propositions de réformes qui pourraient résoudre les ambiguïtés dans les législations actuelles afin que les entreprises d’État soient gérées conformément à leurs mandats.

Les entreprises d’État font souvent état de pertes annuelles systématiques sur de longues périodes. Ainsi, bien que ses pertes annuelles aient plus que quadruplé depuis 2016, Cominière a acquis une part de 30 % en 2018 dans au moins huit joint-ventures. La Gécamines a dû verser des avances aux administrations fiscales, alors qu’il n’existait aucune base réglementaire spécifique pour ces avances et aucune indication quant à la possibilité de les déduire des futures obligations fiscales. Par la suite, la Gécamines s’est appuyée sur des prêts importants accordés par des tiers : selon l’étude, elle a accumulé plus de 376 millions de dollars US de dettes liées à des prêts externes en 2018, et 214 millions de dollars US supplémentaires de dettes liées à sa participation à des joint-ventures. Parmi les tiers accordant les prêts figuraient le négociant en matières premières, Trafigura, et l’entreprise de cuivre MMG Kinsevere.

Le rapport a également mis en lumière d’importantes lacunes en matière de pratiques d’audit et de déclaration par plusieurs entreprises d’État. Pour trois de ces entreprises, les auditeurs ont émis une opinion avec réserve sur les comptes annuels tant pour 2017 que pour 2018. Le décret portant mise en œuvre du Code minier de 2018 impose que toutes les entreprises minières actives publient leurs comptes annuels, ce qui a été réaffirmé par un engagement pris par plusieurs entreprises d’État lors d’un atelier de l’ITIE RDC qui s’est tenu en mai 2019. Malgré cela, à l’heure actuelle, aucun des comptes annuels des entreprises d’État n’est accessible au public.

Conformément aux encouragements en vertu des Exigences de l’ITIE en matière de participation de l’État, les consultants ont demandé aux entreprises d’État des informations sur leurs passations de marchés, leurs contrats de sous-traitance et leur gouvernance d’entreprise. L’étude a ensuite repéré certaines faiblesses dans ces domaines, tenant par exemple au fait que le conseil d’administration de SAKIMA prenait des décisions sans quorum et que plusieurs entreprises d’État ne suivaient pas systématiquement les procédures de passation de marchés publics dans leurs activités de sous-traitance.

Possibilités de dresser un tableau plus complet

Alors que l’étude a permis d’établir des divulgations pour la toute première fois, les comptes annuels des entreprises d’État n’apportent qu’une vue restreinte des problèmes de gouvernance. En règle générale, les états financiers ne deviennent disponibles que quelques mois après la période examinée. Bien souvent, ils ne contiennent pas les données de paiements exigées par la Norme ITIE, telles que des informations relatives aux dépenses quasi budgétaires.

Certains groupes de la société civile locale ont identifié l’augmentation de la transparence autour de la négociation des contrats comme étant la prochaine étape dans le travail mené par la RDC sur la transparence des contrats. Les divulgations supplémentaires de l’ITIE et son étroite collaboration avec les institutions de supervision peuvent alimenter le débat autour du processus de négociation et de conclusion de contrats entre entreprises d’État et entreprises privées.

Les divulgations de transactions au sein des groupes d’entreprises d’État sont également vitales pour la compréhension des relations financières entre les entreprises d’État et leurs filiales, joint-ventures et succursales, notamment les dividendes et paiements collectés, les conditions relatives aux changements de propriété et la vente des actifs des entreprises d’État. De telles divulgations sont particulièrement importantes pour les transactions conclues avec des entreprises liées à des personnes exposées politiquement. Cela a été souligné dans des études récentes par le groupe de coalition Le Congo n’est pas à vendre, qui a examiné les pertes de recettes publiques résultant de la signature de contrats avec l’homme d’affaires Dan Gertler.

Tirer parti de l’ITIE

Avec cinq ministres siégeant au Groupe multipartite de l’ITIE RDC, la nomination récente d’un nouveau gouvernement constitue une occasion pour l’ITIE RDC de renouveler son engagement en faveur de la transparence dans le secteur. Le Groupe multipartite a joué un rôle clé dans l’organisation de débats sur la gouvernance des entreprises d’État, et le plan de travail 2021-2023 de l’ITIE RDC expose des mesures visant à améliorer la déclaration des entreprises d’État.

La simplification des divulgations sera essentielle pour donner suite aux recommandations de l’étude et faire plus de lumière sur la gouvernance des entreprises extractives d’État de la RDC. L’étude a contribué à instaurer la confiance entre l’ITIE RDC et certaines de ces entreprises d’État et a facilité l’engagement avec leur équipe dirigeante. La Gécamines a ensuite commencé à publier certains des contrats régissant sa participation aux joint-ventures.

Il est prévu que la prochaine Validation de la RDC commence le 1er janvier 2022. Grâce au fort engagement des groupes de la société civile tels que la Coalition pour la Gouvernance des Entreprises Publiques du secteur extractif, l’ITIE RDC donnera la priorité aux progrès dans l’amélioration de la gouvernance des entreprises d’État dans les mois à venir. Lors de sa réunion en mars dernier, le Groupe multipartite a discuté d’un accord commercial concernant le cobalt extrait de façon artisanale entre la succursale de la Gécamines, Entreprise Générale du Cobalt (EGC) et Trafigura. Le Groupe multipartite a conclu qu’il aurait à mener des consultations avec l’ensemble des parties prenantes sur les types d’accords qu’il convient de divulguer et sur l’éventuelle inclusion ou non d’accords commerciaux entre des parties privées dans les divulgations, afin qu’il soit possible de mieux comprendre leurs implications pour les revenus des entreprises d’État et du gouvernement.

Le président congolais Félix Tshisekedi cherche à accroître les revenus du secteur afin de financer les réformes du secteur public, notamment l’enseignement primaire gratuit et les mesures de lutte contre la corruption. Le processus ITIE peut contribuer à la réalisation de ces objectifs nationaux, en profitant de la dynamique autour de la transparence de la propriété effective, des contrats et de l’imposition fiscale, ainsi que des demandes par les parties prenantes d’une plus grande redevabilité dans le secteur.