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'Faire la lumière sur les paiements ': Entrevue avec Clare Short

Cette entrevue a été publiée par Critical Resource et est reproduite ici avec leur permission.

La nouvelle présidente du Conseil d'administration de l'ITIE présente son point de vue sur la 'malédiction des ressources', les événements récents en Afrique du Nord et l'avenir de l'initiative de la transparence globale.

L'intérêt mondial pour l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) n'a jamais été aussi élevé. Le nombre de pays 'conformes' à l'ITIE a récemment doublé à 11, avec 24 autres pays cherchant à mettre en œuvre l'initiative, reconnus comme pays 'candidats'. La récente Conférence mondiale de l'ITIE a attiré une foule importante, y compris des personnalités telles que George Soros, Mo Ibrahim ainsi que le directeur général de Shell, Peter Voser. Dans le même temps, comme les événements tumultueux en Afrique du Nord créent de nouvelles exigences en responsabilité des gouvernements des pays riches en ressources, et que les nouvelles obligations de transparence du Dodd-Frank Act entrent en vigueur, les attentes et la pression sur l'ITIE à tenir ses promesses sont également croissantes.

La personne qui dirigera l'ITIE à travers ces moments décisifs sera Clare Short, élue présidente du Conseil d'administration de l'ITIE en mars. Mme Short a été membre du Parlement de Grande-Bretagne de 1983 à 2010 et a servi comme Secrétaire d'État pour le Développement international de 1997 jusqu'en 2003, quand elle a démissionné pendant la guerre en Irak. N'ayant pas peur de la controverse, Mme Short a, par le passé, encouragé les critiques des militants de l'industrie extractive. Critical Resources a parlé avec Clare Short, pour connaître plus en détail son point de vue actuel sur secteur et l'avenir de l'ITIE.

Critical Resource: Vous avez été critique, par le passé, à l'égard des industries extractives, par exemple en qualifiant les mines aux Philippines de 'systématiquement destructrices' *. Quelle est votre évaluation globale aujourd'hui des entreprises extractives, en prenant en compte leurs impacts et activités, sont-elles un coût ou un bénéfice net pour la société?

Clare Short: Dans beaucoup d'endroits l'extraction des ressources même n'a pas entraîné l'allocation de prestations adéquates pour la population locale. Il reste vrai que dans les pays riches en ressources la pauvreté est plus importante que dans les pays non riches en ces mêmes ressources. Paradoxalement les populations locales dans ces pays pauvres disent que Dieu leur a donné ces richesses mais qu'elles sont devenues une malédiction pour eux.

Les compagnies extractives commencent à prendre cela au sérieux. Elles ont appris à leur dépens les risques liés à l'exploitation dans les pays où la confiance n'existe pas mais également les risques liés aux pratiques de corruption qui violent leur législation nationale. C'est dans le but de réduire ce risque que ces sociétés travaillent actuellement avec les gouvernements et organisations de la société civile comme l'ITIE. Faire la lumière sur les paiements effectués aux gouvernements et les quittances enregistrées des paiements perçus par les gouvernements est une première étape visant à s'assurer que tous les citoyens bénéficient des ressources dans les pays riches.

Critical Resource: les récents soulèvements populaires et les conflits en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, par exemple en Libye et en Égypte, ont mis à avant de la scène internationale l'utilisation abusive des recettes liées aux ressources par des dirigeants corrompus dans ces pays. De nombreux gouvernements et entreprises d'extraction ont été critiqués pour leurs dernières interactions autant avec Kadhafi qu'avec Moubarak, pensez-vous que cela soit juste?

Clare Short: Près de 2,5 milliards de personnes vivent dans des pays qui ne sont "pas libres" selon Freedom House, un nombre considérable de ces personnes vivent dans la pauvreté absolue. Investir dans ces pays ne peut faire de tort, cependant les entreprises qui y investissent devraient le faire conjointement avec d'autres en insistant sur la transparence et la responsabilisation. Espérons que nous serons prochainement témoins d'un épanouissement de la démocratie, de la transparence et de la responsabilisation dans le monde arabe. Le temps a montré que pour certains le moment est venu d'examiner leur conscience eu égard à la situation dans cette région.

Critical Resource: En se concentrant spécifiquement sur l'ITIE, quelles sont les trois principales choses que vous aimeriez réaliser - en un mot, quels sont les domaines spécifiques que vous désireriez voir progresser dans l'ITIE - le temps de votre mandat en tant que présidente du Conseil d'administration international de l'ITIE?

Clare Short: Plus d'un demi milliard de personnes peuvent désormais savoir combien leur gouvernement perçoit des industries extractives. Tout d'abord, je veux voir ce nombre croître - un nombre plus grand de citoyens devraient avoir le droit de savoir combien leur gouvernement perçoit de leurs ressources naturelles. Nous sommes désireux de voir plus de grandes économies émergentes suivre les traces de l'Indonésie et mettre en œuvre l'ITIE. Deuxièmement, nous devons innover davantage sur la façon dont cette nouvelle abondance de données dans les rapports de l'ITIE peut être utilisée par les milieux universitaires, les journalistes, les entreprises, les gouvernements et les sociétés civiles. C'est seulement si l'information est mise à profit qu'elle va engendrer la responsabilité. Mais le plus important de tout est que les personnes pauvres vivant dans les pays riches en ressources devraient avoir une vie meilleure et nous devons faire davantage pour mettre les informations à leur portée afin qu'ils puissent exiger des réformes.

Critical Resource: Que pensez-vous de certaines des revendications des groupes de campagne sur la façon dont l'ITIE devrait être renforcée à l'avenir: par exemple, que son champ d'action devrait être élargi pour se concentrer sur la manière dont sont dépensés les revenus des ressources ainsi que les paiements?... qu'il devrait également couvrir la divulgation des contrats et l'attribution des permis?... et que les grands exportateurs et importateurs de ressources comme les USA, l'Australie et le "BRIC" devraient être encouragés à rejoindre l'initiative?

Clare Short: L'ITIE est encore jeune et va continuer à évoluer. Lors de la Conférence mondiale de l'ITIE à Paris le mois dernier, les révisions apportées aux Règles de l'ITIE ont été adoptées, renforçant sensiblement les exigences de l'ITIE. Les exigences de déclaration sont par exemple plus détaillées.

Je pense qu'il est peu probable que les règles de l'ITIE minimales et mondiales exigent la divulgation des contrats et l'attribution de permis, bien que je considère qu'il est souhaitable que ces processus soient à l'avenir plus transparents. Compte tenu de la coalition que rassemble l'ITIE, nous ne pouvons pas aller plus vite que les entreprises le permettent. Je juge toutefois encourageant que la mise en œuvre de l'ITIE dans de nombreux pays conduise à un débat sur les pratiques contractuelles améliorées. La norme ITIE n'en est seulement qu'à la première étape d'un parcours, mais elle crée une plate-forme pour des réformes plus vastes dans la chaîne de valeur des ressources naturelles.

Comme je l'ai déjà mentionné, notre priorité est de nous tourner vers les pays riches en ressources qui n'ont pas encore mis en œuvre l'ITIE, y compris les grandes économies émergentes comme le Brésil et l'Afrique du Sud.

Critical Resource: Pensez-vous que les nouvelles exigences de transparence des États-Unis dans la Loi Dodd-Frank** montrent le chemin à prendre? Pourraient-elles finalement avoir un plus grand impact que l'ITIE? Et soutenez-vous les démarches visant à l'adoption de lois semblables en Europe et ailleurs? Que pensez-vous des arguments avancés par les entreprises extractives selon lesquels ces exigences pourraient les mettre en situation de désavantage concurrentiel, de transgression de la souveraineté nationale - et potentiellement nuire au travail de l'ITIE?

Clare Short: Au sein des parties prenantes de l'ITIE, il existe différentes opinions sur les conséquences des exigences de la Loi Dodd-Frank aux États-Unis et les propositions en cours de discussion dans l'UE. Toutefois que vous l'envisagiez de n'importe quel angle, il est clair que Dodd-Frank et les règles proposées par l'UE sont complémentaires à l'ITIE. Si les entreprises doivent rendre des comptes dans les pays où elles sont enregistrées, elles auront tout intérêt à encourager davantage de pays à rejoindre l'ITIE. Ceci parce qu'une fois qu'un pays adhère à l'ITIE, toutes les entreprises opérant dans le pays - et les compagnies pétrolières nationales et sociétés non enregistrées détiennent une large majorité du pétrole dans le monde - devront rendre des comptes également. En outre, l'ITIE ne consiste pas seulement en des entreprises ayant à déclarer leurs paiements au gouvernement: les gouvernements doivent également publier des rapports sur les recettes perçues, puis s'en suivra un rapprochement indépendant dont les résultats devront être publiés dans le pays afin que la responsabilité soit locale. Enfin, l'ITIE ne consiste pas seulement en la publication de chiffres: les pays mettant en œuvre l'ITIE ont une plate-forme de dialogue sur tous les aspects de l'utilisation des ressources naturelles de leur pays. Les groupes multipartites de l'ITIE seront, le cas échéant, plus importants suivant les exigences des rapports.

* Avant-propos du rapport 2006 sur "L'exploitation minière dans les Philippines"
** Celle-ci exige des compagnies pétrolières, minières et gazières inscrites à la bourse américaine de déclarer les paiements à des gouvernements étrangers, à la fois par pays et par projet

Photo © Abi Johnson

Texte © Critical Resource Strategy & Analysis Ltd