Face à la triple crise, la transparence des industries extractives peut aider les pays de trois façons différentes
Les pays dont l’économie dépend des revenus tirés de l’exploitation pétrolière, gazière et minière traversent une triple crise. Sur ce blog, je m’intéresse à trois domaines dans lesquels la transparence peut permettre de consolider les gains durement acquis par le secteur en matière de redevabilité en ces temps difficiles.
La pandémie de la COVID-19 plonge les pays riches en ressources dans une crise à trois dimensions. Premièrement, elle met les systèmes de santé publique à rude épreuve alors que les pays s’efforcent de lutter contre la propagation croissante du virus à travers le monde. Deuxièmement, l’effondrement du cours du pétrole entame sérieusement la rentabilité de la production pétrolière, avec une baisse drastique des investissements et de l’exploration. Troisièmement, le ralentissement de l’économie mondiale entraîne une diminution de la demande de pétrole, de gaz et de minéraux, donnant lieu à des fluctuations de prix. Tous ces facteurs sont lourds de conséquences pour les finances publiques, les recettes diminuant rapidement, tandis que les demandes de dépenses publiques montent en flèche.
De nombreux observateurs craignent que les engagements nationaux en faveur d’une amélioration de la gouvernance ne s’émoussent face à la crise sanitaire et économique mondiale – ainsi que pendant la phase de relance. Certains s’inquiètent des ripostes gouvernementales musclées et de l’érosion de l’espace civique qui induisent une diminution des responsabilités. D’autres s’alarment des risques accrus de corruption, liés à l’affaiblissement des institutions de contrôle et à la perspective de transactions illicites. Enfin, d’aucuns redoutent un recul de la transparence et un engagement réduit en faveur de l’ouverture et de la publication des données au profit d’autres priorités.
La mission de l’ITIE est de favoriser une meilleure transparence dans les secteurs pétrolier, gazier et minier. La Norme ITIE 2019 définit un ensemble commun d’exigences de déclaration pour les 53 États membres. Les gouvernements et les entreprises de chaque pays mettent en œuvre ces dispositions, particulièrement exigeantes en matière de déclaration et qui sont susceptibles de faire avancer la gouvernance des industries extractives. Cependant, ces avancées sont menacées par le ralentissement économique qui pousse les gouvernements et les entreprises à vouloir récupérer rapidement leurs investissements. Cette tendance ne doit pas saper les efforts déployés par les pays tributaires de ressources naturelles pour promouvoir les contributions à long terme de ces richesses au bien-être des citoyens.
Des données fiables sur les revenus, la production, les exportations et l’emploi dans le secteur des industries extractives aideront les gouvernements à prendre les décisions politiques qui s’imposent et à mieux gérer la crise. En outre, au moins trois dispositions introduites récemment dans la norme ITIE offrent la possibilité aux gouvernements, aux entreprises et aux organisations de la société civile de préserver les progrès accomplis en matière de transparence et de limiter le risque de corruption en ces temps difficiles.
Lire entre les lignes : la transparence des contrats
Les gouvernements et les entreprises qui s’engagent à publier leurs contrats conformément à la Norme ITIE fournissent aux parties prenantes les informations nécessaires pour comprendre les conditions, les obligations et les paiements découlant des projets extractifs menés dans leurs pays, et pour en contrôler la conformité. Lorsque les contrats sont divulgués, il est plus facile de les comparer, les examiner et les faire appliquer.
En s’engageant à divulguer les contrats (par exemple en adhérant au réseau pour la transparence des contrats de l’ITIE), les gouvernements peuvent contribuer à protéger les intérêts des citoyens et à créer des conditions équitables pour les investissements qui profiteront à long terme aux pays riches en ressources naturelles.
Toutefois, dans le contexte de la crise économique actuelle, les contraintes pesant sur les capitaux d’investissement et la crainte des déficits budgétaires peuvent amener les gouvernements à conclure des accords extractifs dont les dispositions sont moins favorables ou moins cohérentes. Le cercle vertueux – dans lequel la divulgation des contrats induit le contrôle exercé par le public, favorise une meilleure surveillance et renforce la mise en application – peut être rompu par des négociations contractuelles plus fragiles et un engagement amoindri en matière de divulgation des contrats. Une telle situation pourrait nuire au pouvoir transformateur de cette nouvelle exigence et des bonnes pratiques émergentes.
L’élaboration de politiques solides, surtout dans une période de crise comme celle que nous traversons à l’heure actuelle, ne peut se faire sans un dialogue fondé sur des données et axé sur les manières dont le secteur extractif peut contribuer à l’économie d’un pays. Une bonne connaissance des dispositions des contrats des industries extractives permet d’éclairer le débat public sur les revenus du secteur extractif et de mieux cerner l’ampleur des modifications qui peuvent être raisonnablement apportées aux obligations contractuelles. Lorsque des clauses de force majeure entrent en jeu dans les contrats, il est fondamental de bien connaître les termes des contrats existants pour garantir la redevabilité.
La transparence des contrats devient la norme et nous attendons des pays mettant en œuvre l’ITIE qu’ils s’emparent de ce critère, qui deviendra obligatoire en janvier 2021. À ce jour, 34 pays de l’ITIE ont divulgué au moins une partie de leurs contrats et 16 entreprises se sont engagées publiquement à soutenir la transparence des contrats. Il y a dix ans, neuf pays de l’ITIE seulement disposaient de lois relatives à la transparence des contrats. Ils sont aujourd’hui 24 à avoir une mis en place une législation dans ce domaine. Même en période difficile, il est possible de poursuivre sur cette lancée.
Échanges : la transparence dans le commerce des matières premières
Une autre nouvelle exigence ITIE a trait à la transparence du commerce des matières premières. Plus de la moitié des 2 700 milliards de dollars de revenus divulgués par les pays de l’ITIE proviennent de ventes de pétrole, de gaz ou de minéraux réalisées par les États auprès de sociétés commerciales. Les prix des matières premières étant sous pression, les transactions entre les négociants et les entreprises d’État présentent une possibilité de corruption.
La transparence du commerce des matières premières est particulièrement importante dans le contexte d’instabilité des marchés des matières premières observé ces derniers mois. Le choc des prix pétroliers et la flambée des coûts de stockage peuvent pousser les pays à conclure en hâte des accords à court terme, lesquels peuvent mettre en péril les intérêts nationaux à long terme. Ce risque est encore plus manifeste dans le cas des entreprises d’État dont les activités ne sont pas toujours soumises à l’examen du public et au sein desquelles les personnes politiquement exposées ont la possibilité de réaliser des gains à court terme aux dépens de l’intérêt général.
Par ailleurs, les plans de relance des gouvernements encouragent les nouvelles technologies et soutiennent la transition vers des économies à faible émission de carbone. Des normes de transparence plus strictes et une coopération internationale renforcée sont nécessaires pour garantir que l’achat de minéraux essentiels à la transition énergétique contribue aussi au développement durable des pays riches en ressources.
Même si la transparence du commerce des matières premières n’en est encore qu’à ses débuts, la publication de données sur les transactions commerciales peut participer à atténuer les risques susmentionnés. Conformément à la Norme ITIE, les entreprises publiques et autres organismes gouvernementaux chargés de commercialiser le pétrole, le gaz et les minéraux des États sont tenus de divulguer l’intégralité des revenus qu’ils tirent de la vente de ces ressources. Cela signifie généralement que les entreprises d’État divulguent les volumes de matières premières vendues et les revenus perçus, ventilés par acheteur.
Au niveau local : la transparence dans l’affectation des recettes
Une troisième disposition particulièrement pertinente dans le contexte actuel concerne l’affectation des recettes au niveau infranational. La Norme ITIE exige la divulgation des transferts importants entre les entités gouvernementales nationales et infranationales lorsque cela est prévu par la constitution nationale ou par tout autre mécanisme de partage des revenus.
Dans des pays tels que le Ghana, les Philippines et la Colombie, les autorités infranationales ont des dispositions à cet effet et peuvent sanctionner le transfert d’une part importante des revenus des industries extractives. Les rapports ITIE indiquent si les communautés locales perçoivent de tels transferts. En outre, la divulgation des contrats permet de rendre publiques les conditions contractuelles de ces transferts, ce qui renforce la transparence des transferts infranationaux.
La baisse des revenus tirés des ressources naturelles induite par la triple crise pourrait avoir des retombées négatives sur les transferts infranationaux et plonger les communautés dans une plus grande pauvreté ou vulnérabilité. Les transferts infranationaux risquent également d’être affectés par le détournement de ressources au profit de priorités nationales urgentes, telle que la lutte contre la pandémie, et les communautés locales pourraient subir les effets d’une réduction des dépenses. Par conséquent, cette question doit impérativement rester transparente et à la pointe de l’actualité, de manière à enregistrer les variations des transferts et à maintenir un dialogue ouvert avec la société civile et les communautés.
La transparence, une bouée de sauvetage
Les circonstances actuelles présentent des risques pour la bonne gouvernance du secteur extractif, mais ces risques peuvent être atténués si les pays de ITIE et les entreprises soutenant l’ITIE respectent publiquement leurs engagements envers la Norme ITIE. Les rapports ITIE mettent en lumière les transactions économiques et les revenus du secteur extractif qui peuvent être mis à disposition pour répondre à des besoins de santé publique et de bien-être hautement prioritaires.
Au-delà de promouvoir la transparence, la mise en œuvre de l’ITIE peut :
- Favoriser le débat public et veiller à informer le grand public, grâce à la couverture médiatique notamment.
- Fournir des données qui peuvent être utilisées à des fins de modélisation budgétaire ou pour aider les décideurs à faire des choix difficiles dans un contexte de moins en moins favorable.
- Protéger l’espace civique et assurer un rôle actif à la société civile, de manière à tenir les décideurs responsables de leurs actions.
Si les données sont essentielles pour obtenir une vision plus claire des retombées économiques de la triple crise, elles ne peuvent à elles seules contribuer à atténuer ces retombées. Pour que la transparence ait un sens, elle doit être envisagée comme étant à la base de l’élaboration de politiques éclairées, inclusives et durables.
Ce blog est basé sur la conférence tenue par Mark Robinson en avril 2020 (Sussex Development Lecture).